Joseph-Nicolas ROBERT-FLEURY

Une famille de réfugiés grecs, peinte à Venise en 1824


Joseph-Nicolas ROBERT-FLEURY (1797, Cologne – 1890, Paris)
Une famille de réfugiés grecs, peinte à Venise en 1824
Aquarelle
29 x 24 cm
Signée, située (Venezia), datée et dédicacée à Madame Morel en bas à gauche
20 mai 1824
Oeuvre en rapport: tableau (?) exposé au Salon de 1824 sous le N°652
Provenance: ancienne collection Benjamin Morel (1781-1860), homme politique et fondateur du musée de Dunkerque


Cette aquarelle s’inscrit dans le mouvement philhellénique dans les années 1820, suite à la lutte des grecs pour leur indépendance face à l’oppresseur turc.
Sous le joug ottoman depuis quatre siècles, les grecs se soulèvent en 1821 et déclarent même leur indépendance au congrès d’Epidaure en 1822; des événements comme les massacres de l’île de Scio ou le siège de Missolonghi en avril 1824 (au cours duquel lord Byron trouve la mort) ont un fort impact sur les pays occidentaux, aussi bien dans les milieux scientifiques, politiques, que financiers, mais surtout artistiques. Mais il faudra attendre 1830, après les entrées en guerre de l’Angleterre et de la Russie en 1826, et de la France en 1827, pour que l’indépendance soit officiellement reconnue.
Ce mouvement de sympathie envers un combat pour la liberté se traduit par la création de nombreux comités de soutien (Stuttgart en 1821, Londres en 1823…); le comité français, un des plus tardifs (décembre 1824), deviendra l’un des plus actifs, avec à sa tête Lafayette et Chateaubriand, et des membres aussi prestigieux que Lamartine et Victor Hugo; au-delà de leur appui moral, ces comités permettent un soutien financier, alimentaire et même militaire (avec des engagés volontaires) grâce à la mise en place de fêtes de charité, souscriptions et expositions…

Le comité parisien organisa ainsi le 24 mars 1826 une importante exposition à la Galerie Lebrun (4, rue du Gros Chenêt, actuelle rue du Sentier; le bâtiment avait été construit par Lebrun, le marchand de tableaux époux de la célèbre portraitiste Elisabeth Vigée), à l’entrée payante, pour soutenir l’effort grec; l’exposition se déroula en deux volets, du 17 mai au 2 juillet, puis du 16 juillet au 19 novembre, avec la participation d’artistes comme Alaux, Bonington, Bouhot, Cogniet, Delaroche, Deveria, Horace Vernet, ainsi que Robert-Fleury (avec deux oeuvres: La prière du soir; vue prise dans le golfe de Naples – N°67, et Chef de brigands – N°68) et Delacroix.
Mais dès 1821/22, un certain nombre d’oeuvres illustrent le soulèvement grec, ceci correspondant également à l’attraction naissante de l’Orient auprès des artistes occidentaux.
Delacroix réalise ainsi plusieurs dessins liés au conflit en 1822, puis expose au Salon de 1824 ses célèbres Massacres de Scio, et à l’édition de 1826 sa très théâtrale La Grèce sur les ruines de Missolonghi (qui figure également à l’exposition de la Galerie Lebrun).
Le nombre d’oeuvres augmente progressivement. En 1822, un seul tableau est présenté au Salon de Paris, Scène de mariages grecs, par Joséphine Sarrazin de Belmont. En 1824, Cornu, Aubon, Delaperche, Gosse, Vafflard et Horace Vernet, avec Delacroix et Robert-Fleury, font monter à dix le nombre d’oeuvres exposées. Au Salon de 1827, c’est près de 20 pièces (Lansac, Delacroix, Vinchon, Scheffer, Odevaere, David d’Angers, Colin…) qui illustrent le thème. Le phénomène commence ensuite à ralentir, mais on trouve encore quelques oeuvres exposées de temps à autres aux Salons des années 1840.

Notre composition illustre la fuite de certains grecs, qui vinrent trouver refuge dans différents ports méditerranéens, comme Marseille ou Venise.
Même si à l’époque, les oeuvres peintes et graphiques étaient rassemblées sans distinction dans les livrets de Salon, lorsqu’il s’agit d’une aquarelle, d’une gouache ou d’un dessin, le livret le précisait dans la plupart des cas; mais cela n’était pas systématique, et il y avait parfois des erreurs. Ici, le livret ne donne pas d’indication.
Mais l’année 1824 étant la première participation au Salon pour Robert-Fleury (il obtient une médaille à cette occasion), il semblerait logique que dans un souci de s’y valoriser au mieux, il n’y ait exposé que des peintures (cinq au total).
Par ailleurs, au vu de la date d’ouverture du Salon, le 25 août 1824, et de celle de l’exécution de notre aquarelle, le 20 mai, celle-ci pourrait alors être l’oeuvre préparatoire aboutie pour le tableau.
Mais Robert-Fleury ayant également exposé des aquarelles au Salon, notamment dans les années 1830, nous ne pouvons totalement exclure la possibilité que notre aquarelle soit l’oeuvre exposée au Salon de 1824.
La cause des grecs semble particulièrement toucher Robert-Fleury car, nous l’avons vu, il participe à l’exposition de la Galerie Lebrun de 1826, et il expose une deuxième oeuvre « grecque », Un soldat grec en faction (sous le N° 2315), à ce Salon de 1824.
L’artiste est alors domicilié à Rome dans le livret du Salon.

Elève de Girodet, Gros et Horace Vernet, Robert-Fleury fut essentiellement un peintre de sujets historiques, souvent des épisodes tragiques (Mort d’Henri IV, Derniers instants de Montaigne, Massacre de la Saint-Barthélémy…), y incorporant une forme de naturalisme.
Il participa régulièrement au Salon jusqu’en 1869. A la demande de Louis-Philippe, il peignit deux grandes compositions pour le musée de l’histoire de France de Versailles. Ses succès lui valurent d’occuper des postes officiels au sein de l’administration des Beaux-Arts et lui permirent de recevoir la légion d’honneur.
Son fils, Tony Robert-Fleury (1837-1911), fut lui aussi un peintre renommé.

Benjamin Morel fut, avec son épouse à qui l’oeuvre est dédiée, le premier propriétaire de cette aquarelle. Important négociant et homme politique issu d’une famille dunkerquoise, il était également un grand ami des arts; il chantait, jouait de la musique, mais était surtout un fort amateur de dessins, proche des plus grands artistes de l’époque, comme: Horace Vernet, Delaroche, Lami, Bosio, Charlet, Bonington, Francia, Colin…, et Robert-Fleury.
Il était particulièrement proche de Robert-Fleury, qui réalisa d’ailleurs son portrait (donné par le fils Morel au musée), donna un dessin à la Société Humaine de Dunkerque (une société de sauvetage en mer) dont Morel était le fondateur, et fit don au musée de Dunkerque d’un portrait (Désiré Looten).