Charles-François PECRUS (1826, Limoges – 1907, Paris)
La visite des parents le lendemain des noces
Huile sur panneau d’acajou
42,5 x 55,5 cm
Signé et daté en bas à droite
1865
Provenance: collection personnelle de Napoléon III, puis après sa mort, collection personnelle de l’Impératrice Eugénie
Exposition: Salon des Beaux-Arts de 1865, sous le N° 1662
Cette oeuvre date de la première partie de la carrière de Pécrus, où, influencé notamment par des artistes comme Meissonnier ou Eugène Fichel, il se spécialise dans d’élégantes et raffinées scènes de genre avec des décors et des personnages d’époque Louis XIII ou Louis XV, dans une facture précise très proche des peintres flamands et hollandais du XVIIème siècle.
Il expose ses tableaux au Salon à partir 1857; c’est d’ailleurs à l’occasion de ce Salon de 1857 que Napoléon III acquière son « premier » Pécrus, un tableau titrée La Rose (ce tableau sera placé au château de Compiègne, et revendu par Eugénie le 9 mai 1881 à Drouot).
Napoléon III fit le choix d’acquérir ce tableau le 30 avril 1865. L’oeuvre fut concrètement payée le 10 juin, pour 2 000 Francs de l’époque, à savoir une somme assez importante. Le tableau fut aussitôt placé au Palais de l’Elysée; il y resta quelques semaines, avant d’être transféré au Garde-Meuble le 4 septembre de la même année.
L’acquisition directement par Napoléon III se fit dans le cadre de la « Liste civile », une sorte d’enveloppe annuelle accordée au souverain qui lui permettait entre autres d’acheter des oeuvres d’art pour ses propres collections et non pour le compte de l’Etat.
Au moment de la guerre de 1870, une « Commission de liquidation » fut créée: elle protégea d’abord les biens de la famille impériale contre les risques liés à l’invasion. Après la guerre, la commission dut décider de la restitution ou non des oeuvres acquises personnellement par les souverains; en résumé, après tractations, les oeuvres qui étaient placées dans des palais impériaux revinrent à l’Etat, et le reste fut restitué à Eugénie (Napoléon étant mort en 1873) en 1879 et 1881.
Eugénie vendit une grande partie de ces tableaux lors de plusieurs ventes à Drouot au début des années 1880, et le tableau de Pécrus en faisait partie.
Notre tableau, de dimensions assez exceptionnelles comparées à la majorité des petits formats peints par Pécrus à cette époque, fut salué par la critique et les commentateurs (cf la note ci-dessous).
A gauche on aperçoit le père discutant avec le marié encore en hauts de chausses et en chemise, tandis que la jeune femme est félicitée par sa mère (en noir) et sa soeur (que certains à l’époque décrivaient comme la servante) qui lui apporte un bouillon réparateur.
La composition est harmonieuse, les personnages ont des attitudes élégantes, à la limite de la théâtralité, mais tout en restant finalement assez naturelles. Les étoffes des vêtements sont particulièrement bien rendues, notamment la chemise du marié et la robe rose de la soeur.
Une multitude de détails vient donner encore plus de vie et réalisme à la scène, et permettent à Pécrus de montrer son talent de minutie et de précision: les pantoufles de satin et à rubans de la mariée, la brillance du noyer des meubles en bois tourné, les plumets en haut des montants du lit, la richesse chromatique du décor floral des tentures du baldaquin, de la carpette et du tapis persan recouvrant la table (un motif récurrent chez Pécrus), le bouillon en argent apporté par la soeur, les flambeaux de toilette encadrant le petit miroir posé sur la table, le coffret à bijoux et la paire de gants, les lames du parquet…
Assurément nous sommes dans un intérieur de riches bourgeois ou d’une noble famille.
Une composition quasiment identique fut utilisée par son presque exact contemporain le peintre de genre belge Florent Willems (1823-1907) dans un tableau titré The new mother (La jeune accouchée), une huile sur panneau de 74 x 99 cm, passée en vente chez Bonhams le 28/04/2012.
Charles Pécrus naquit à Limoges, à l’occasion d’une tournée de ses parents, qui étaient comédiens (son père devint par la suite régisseur du théâtre de l’Ambigu-Comique). Cette ascendance lui donna probablement le goût des compositions organisées sur le modèle des scènes théâtrales. Il partagea l’essentiel de son temps entre sa maison de villégiature de Seine-Port (entre Corbeil et Melun) et son atelier parisien du 42 rue de la Fontaine Saint-Georges.
Au-delà de son intérêt historique et de sa prestigieuse provenance, ce tableau est probablement une des meilleures représentations du talent de Pécrus dans sa première partie de carrière, avant qu’il ne s’adonne davantage à la peinture de paysages et de marines normands sous l’influence de son voisin et ami Eugène Boudin, à partir de la fin des années 1860. Au Salon de Paris, il n’exposera que ce type de scènes de genre, même lors de sa période paysagiste.
Notes:
Extrait de « L’autographe du Salon » de 1865
« Un des cinq ou six prestidigitateurs qui savent, à l’exemple de Meissonnier, mettre une physionomie, une expression, un caractère, des passions, que sais-je! dans des têtes d’hommes grosses comme des têtes d’épingles »
Autre extrait de la critique de l’époque:
Louis de Laincel
PROMENADE aux CHAMPS-ELYSÉES
L ART ET LA DEMOCRATIE. CAUSES DE DÉCADENCE. LE SALON DE 1865.
L’ART ENVISAGÉ A UN AUTRE POINT DE VUE QUE CELUI DE M. PROUDHON ET DE M. TAINE.
PARIS, E. DENTU , LIBRAIRIE-EDITEUR , Palais-Royal, 17 et 19, Galerie d’Orléans. 1865.
« M. Charles Pecrus a représenté, lui aussi, une visite; c’est la Visite des parents le lendemain des noces. Chacun des personnages est bien réussi , y compris la servante qui apporte le consommé réparateur. Il faut voir l’air important de M. le gendre serrant les deux mains de monsieur son beau-père , à qui il fait les honneurs de la chambre ! Ce tableau se distingue surtout par le fini des moindres détails: dentelles et bijoux , tentures et tapis , meubles et costumes , tout est traité avec une délicatesse exquise ; tout est en relief malgré l’exiguité des dimensions. Par exemple, à propos des costumes, ce sont, je crois, ceux du XVl« siècle ; mais le père et la mère de la jeune mariée sont habillés de noir. De quoi donc portent-ils le deuil ? Comme valeur , je rapprocherai volontiers du tableau de M. Pecrus le Départ pour le baptême , par M. Plassan« .