Charles JOUAS (1866, Paris – 1942)
Notre-Dame: Paris vu depuis la galerie des chimères
Pastel, sanguine et crayon
30,5 x 18,5 cm
Signé, daté « 1er janvier 1926 », dédicacé et situé en bas au centre
Très beau et fascinant dessin par ce remarquable et rigoureux dessinateur, élève de Georges Clairin et d’Isidore Pils, et qui eut lui-même comme disciple Charles Samson (1893-1978). Peintre à ses débuts, puis illustrateur et graveur, Jouas a représenté de nombreux sites en France, mais reste célèbre pour ses vues pyrénéennes et surtout celles des grandes cathédrales françaises: Reims, Notre-Dame de Paris, Chartres… Il y dessine notamment avec virtuosité et précision les éléments décoratifs et architecturaux gothiques. Parfois assez proche, comme ici, du graveur Charles Méryon (1821-1868), son oeuvre présente un caractère très fouillé et une grande maîtrise des effets de lumière qui donne beaucoup de vie et d’animation aux décors de pierre qu’il représente. La ville de Paris fut un des sujets favoris de Jouas, avec notamment la représentation d’événements comme les inondations de 1910 ou la construction du métro (dessins conservés au musée Carnavalet); mais ce sont surtout les monuments qui l’intéressaient, et concernant Notre-Dame, il réalisa nombre de vues prises des hauteurs de la cathédrale, mettant en scène les gargouilles et chimères de l’édifice. Bien que réalisées au début du XXème siècle, ces oeuvres s’inscrivent dans l’imaginaire romantique d’un Victor Hugo au milieu du XIXème siècle.
Notre dessin représente une des 54 chimères conçues par Viollet-le-Duc vers 1850 lors de la restauration de Notre-Dame, et qui furent exécutées par une équipe de 15 sculpteurs; leur rôle était purement décoratif, et elles furent installées sur la galerie (orientée ouest) qui relie les deux tours de la cathédrale. Parfois confondues avec les gargouilles, dont le but pratique était d’évacuer les eaux de pluie en évitant qu’elles ne ruissellent sur les parois et usent la pierre, les chimères partagent avec elles le même aspect fantastique et effrayant. Symbolisant les différentes formes de mal et de vice, le rôle symbolique des gargouilles et des chimères est aussi de rejeter les énergies néfastes du temple. Les chimères de Viollet-le-Duc, bestiaire fantastique composé de créatures surnaturelles hybrides, avec des rapaces, lions, chèvres et autres créatures cornues, etc…, perchées à 46 m de hauteur, scrutent Paris et observent le grouillement de la cité, la plus célèbre d’entre elles étant le « stryge ».
Jouas représente ici un singe diabolique, à la posture presque humaine, penché au-dessus d’une gargouille de façon assez vertigineuse, et qui semble fasciné par le spectacle de la ville. Les deux principaux monuments reconnaissables sont le Panthéon sur la droite et l’église Saint-Etienne du Mont au centre, tous deux situés sur la montagne Saint-Geneviève. Une hivernale lumière crépusculaire rosée vient renforcer l’intensité et l’aspect quelque peu irréel de la scène. Le point de vue adopté correspond à la réalité, comme on peut le voir sur une carte postale ancienne représentant cette chimère simiesque. En revanche il semble que la présence de l’arcade ait été imaginée par Jouas pour donner plus d’intensité à sa composition; en effet les fines colonnettes et leur décor supérieur correspondent à la troisième rangée de la colonnade de la « Grande galerie » qui relie elle aussi les deux tours nord et sud, mais qui se situe sous la galerie des chimères et non au même niveau.
L’oeuvre est dédicacée par Jouas à sa nièce Jacqueline et son mari Georges.