Jean-Joseph TAILLASSON

Corésus et Callirhoé

Fragonard, tableau conservé au Louvre
Fragonard, dessin conservé au Metropolitan, New York

Jean-Joseph TAILLASSON (Bordeaux, 1745 – Paris, 1809)
Corésus et Callirhoé
Pierre noire et estompe, avec rehauts de blanc
33,1 x 42,7 cm
Vers 1785
Provenance :
– Vente Mahérault, Drouot, Salle 2, CP Pillet et Delestre, Expert Féral, 27-29 mai 1880, n° 58 (Fragonard) : « Le grand prêtre Coresus se sacrifie pour sauver Callirrohé – dessin pour le tableau qui est au Musée du Louvre. Estompe et crayon noir [33 x 42 cm]» (240 fr. à Goupil)
– Probablement vente Paris (Drouot), 11 juin 1927, n° 10 (Fragonard ?) : « Le grand prêtre Corésus se sacrifie pour Callirohé. Esquisse pour la peinture. Pierre noire avec rehauts de blanc sur papier gris »


Corésus, au pied de la statue de Bacchus, s’effondre sans vie pendant que Callirhoé à notre droite s’évanouie de chagrin. Cette œuvre représente vraisemblablement la fameuse scène de sacrifice, issue de la Description de la Grèce de Pausanias (livre VII, chap. 21).
Nous proposons d’attribuer cette feuille à Jean-Joseph Taillasson (1745-1809). Bien qu’il soit un dessinateur protéiforme, comme la plupart de ses contemporains, le style estompé et retenu de cette feuille est à rapprocher d’une esquisse pour sa Marie-Madeleine exposée au Salon de 1785 (1). Les faciès, par leurs visages anguleux, la représentation des yeux ou la stylisation des cheveux bouclés, ainsi que l’écriture des drapés rudes et poussifs, sont typiques de l’artiste.
En outre, Taillasson exposa au Salon de 1783 un dessin représentant la scène finale de Mérope par Voltaire (2). Bien que d’une graphie différente, la composition présente plusieurs concordances avec la feuille présentée ici : intérieur d’un temple circulaire avec une ouverture sur la gauche, statue de la divinité dominant la scène au-devant d’un autel fumant, multiplication des personnages sur les côtés où des soldats armés de lances et brandissant des étendards surgissent à senestre…

Le dessin, que nous situons au milieu des années 1780, annonce l’évolution de ses tableaux d’histoire comme Sabinus et Éponine (1789, localisation inconnue), Cléopâtre et Rodogune (1791, Boston Museum of Art) ou Pauline (1793, musée du Louvre). Celles-ci sont également caractérisées par une composition très théâtrale en frise, dans un intérieur architecturé. Les figures principales se trouvent au centre, tandis que les nombreux « figurants » sont placés sur les côtés, offrants une illustration de la variété des expressions des passions humaines.
Fragonard rendit célèbre le sujet avec son fameux morceau d’agrément de 1765, que notre dessinateur a forcément vu et médité (3). On retrouve les personnages sur une estrade, au-devant d’un nuage de fumée créé par l’autel. La moitié droite de la scène est fermée par une architecture tandis que les deux colonnes sur la gauche de l’œuvre de Fragonard se sont transformées en une colonnade dans le dessin. Aux extrémités gauches de chaque œuvre, un homme âgé se tourne plein d’allant vers le centre de la composition. La position de Callirhoé est également similaire, jusque dans la position des mains et le sein gauche dénudé. Les personnages en arrière-plan à droite sont esquissés, presque fantomatiques. Cet effet, utilisé également dans Autolion, un dessin de 1785 (4), pourrait également refléter une influence de Fragonard. Notre œuvre fut d’ailleurs longtemps donnée à Frago, passée sous ce nom dans la vente Mahérault de 1880, et probablement dans une vente à Drouot en 1927 avec une interrogation sur la paternité du grassois.
Notre feuille pourrait-elle être plus qu’une méditation de l’œuvre de Fragonard ? Si aucune source historique ne l’atteste, Taillasson et Fragonard purent être proches. Le premier publia une notice sur la vie du second dans le Journal des Arts du 30 septembre 1807, comportant des informations reçues de première main longtemps restées inédites (5). Dans ce texte, Taillasson y commenta Corésus et Callirhoé plus que toute autre œuvre. Marie-Anne Dupuy-Vachey, dans un article à paraître, émet l’hypothèse d’une rencontre des deux artistes à Rome en 1773-1774, sur l’analyse iconographique d’une œuvre de chacun des peintres.
Nonobstant, si cette feuille pourrait bien symboliser une admiration et une amitié artistique, elle reflète de toute évidence une période charnière dans l’œuvre de Taillasson, reçu à l’Académie royale en 1784. Corésus et Callirhoé démontre la volonté de l’artiste de mettre en scène des drames historiques mettant en exergue les passions humaines, dans des compositions théâtrales à la rigueur archéologique. Ces préoccupations portées par la suite sur toile lui permirent de connaître le succès aux Salons et de remporter des Prix d’encouragement en 1791 et 1798.
Nous remercions Benjamin Estèves, auteur de cette notice et spécialiste de Taillasson, qui incluera l’œuvre dans le catalogue raisonné en préparation.

Elève, avec son compatriote bordelais Pierre Lacour (1745-1814), chez Vien à Paris, Taillasson reçoit un troisième grand prix de Rome en 1767, 1768, 1769 et 1771. Il part à ses frais en Italie et y retrouve Lacour. Reçu à l’Académie en mars 1784, il expose au Salon sans discontinuer, de 1783 à 1806.

(1) Jean-Joseph Taillasson, Esquisse pour Marie-Madeleine, Pierre noire sur papier bleu, 30 x 30 cm, non localisé, repr. dans cat. exp. Galerie Cailleux, 1991, Le Rouge et le Noir , p. 78. Le tableau est au musée des beaux-arts de Montréal, inv. 2003.1. 2
(2) Jean-Joseph Taillasson, La mort de Polifonte, Salon de 1783, crayon noir, lavis et rehauts de blanc sur papier crème, 50 x 73 cm, France, coll. part.
(3) Jean-Honoré Fragonard, Corésus et Callirhoé, morceau d’agrément présenté en 1765 et exposé au Salon de la même année, huile sur toile, 309 x 400 cm, Paris, musée du Louvre, inv. 4541.
(4) Jean-Joseph Taillasson, Autolion blessé par l’ombre d’Ajax, Salon de 1785, crayon noir et lavis sur papier crème, 49 x 37 cm, Montpellier, Musée Fabre, inv. 864.2.505.
(5) Jean-Joseph Taillasson, « Sur Fragonard », Journal des arts, des sciences, de littérature et de politique, 30 septembre 1807, p. 7-9