Gioacchino SERANGELI (1768, Rome – 1862, Turin)
Portrait des fils jumeaux de Pierre Seriziat, neveux de Jacques-Louis David
Huile sur sur toile marouflée sur panneau
55 x 46 cm
1795
Etiquette de l’Exposition Universelle de 1900 collée au dos du cadre
Expositions :
– Peut-être Salon de 1796, sous le numéro 495, titrée Un portrait…
– Paris, Exposition Universelle de 1900, Exposition rétrospective de la Ville de Paris, Pavillon de la ville de Paris, sous le numéro 85, Portrait des deux fils de Monsieur Seriziat, présentée comme une œuvre de David, avec un cartel « David » sur le cadre
Provenance :
– Famille Seriziat
– Collection Pierre-Emmanuel Seriziat (jusqu’en 1868 ?)
– Collection Sosthène Moreau (1827-1911)
– Sa vente le 28 février 1912, Paris, Drouot, Salle 11, Commissaire-Priseur André Couturier, expert Jules Feral, N°8 du catalogue, Gioachino Serangeli, Portraits des fils de Monsieur Seriziat (ancienne collection Seriziat), vendu 1 400 francs
– Collection Mandiargues, qui l’acquière à la vente précédente, au moins jusqu’en 1951
– Paris, Hôtel George V, 29 mars 1994, Commissaire-Priseur Ader-Tajan, Expert Eric Turquin, Importants tableaux anciens, N°77 du catalogue, Gioachim Giuseppe Serangeli, Portrait présumé des fils Seriziat, estimé 200-300 000 Francs (environ 30-45 000 euros). Reproduit.
– Paris, Drouot, 26 mars 1996, Commissaire-Priseur Tajan, Expert Eric Turquin, Tableaux anciens, N°137 du catalogue, Gioachim Giuseppe Serangeli, Portrait des fils Seriziat, estimé 140-180 000 Francs (environ 28-35 000 euros). Reproduit.
– Collection particulière
Bibliographie et iconographie :
– Photographie (tirage sur papier albuminé) prise lors de l’exposition de 1900 et conservée au musée Carnavalet
– Gazette de l’Hôtel Drouot, Paris, 24 février 1912, p.2
– The New York Herald, Paris, N°27582 du 28 février 1912, p.5
– Gazette de l’Hôtel Drouot, Paris, 29 février 1912, p.1
– Louis Hautecoeur, Louis David, Paris, La Table Ronde, 1954, p.163
– Antoine Schnapper, Jacques-Louis David: 1748-1825, RMN, 1989, p.236
– Florian Siffer, La Tribune de l’Art, Gioacchino Giuseppe Serangeli ou l’intégration des élèves italiens dans les ateliers parisiens au tournant des Lumières, article du 7 décembre 2005. Reproduit.
– Didier Rykner, Présence (ou absence ?) de la peinture italienne de la première moitié du XIXème siècle en France, article du colloque Le goût pour la peinture italienne autour de 1800, Musée Fesch, 2006, p. 340 . Reproduit.
Ce très joli et important tableau doit être mis en relation avec les peintures de David représentant les membres de la famille Seriziat dans la première moitié des années 1790.
David était le beau-frère de Pierre Seriziat (1757-1847) fils d’un négociant lyonnais et exerçant la profession d’avocat, la femme de David, Marguerite-Charlotte Pecoul (1765-1826), étant effectivement la soeur d’Emilie, épouse de Pierre Seriziat. Les deux couples étaient proches.
Emprisonné une première fois entre le 2 août et le 29 décembre 1794 (à l’hôtel des Fermes Générales puis au palais du Luxembourg), pour avoir soutenu Robespierre, David fut recueilli à sa sortie par Emilie et Pierre Seriziat dans leur belle ferme de Saint-Ouen, à Favières, en Seine-et-Marne. Il peignit en mai 1795 le portrait de sa belle-soeur Emilie accompagné de son plus jeune fils Emile (né en 1793, nous savons qu’il décédera en bas-âge, sans plus de précisions).
Il passa encore du temps à Saint-Ouen à la suite de son second emprisonnement au collège des Quatre-Nations, du 29 mai au 3 août 1795, et peignit en août le portrait de son beau-frère, sachant qu’il l’avait déjà portraituré en 1790, sur une toile de format ovale.
Les deux portraits des époux, exposés au Salon de 1795, ainsi que le portrait de 1790, appartenaient à la famille Seriziat, tout comme les oeuvres suivantes : deux Hubert Robert, une esquisse attribuée à David d’après un maître ancien, une vue du jardin du Luxembourg (traditionnellement donnée à David qui l’aurait peinte dans sa geôle), des portraits des parents (donc les beaux-parents des époux Seriziat) de la femme de David (par son atelier), et notre tableau des fils de Pierre Seriziat.
Ces deux garçons étaient jumeaux, nés à Paris le 25 novembre 1787 et baptisés le lendemain à la paroisse Saint-Gervais.
Charles-Alphonse effectua une carrière militaire, engagé au 11ème dragons ; décoré après la bataille d’Eylau, il succomba lors de la campagne de Russie, donc vraisemblablement en 1812. Pierre-Emmanuel fut maire de Favières de janvier 1826 à octobre 1848, et mourut célibataire à Paris le 17 décembre 1868. Sa marraine était sa tante Marguerite, la femme de David.
C’est à Pierre-Emmanuel qu’échut la collection Seriziat, vraisemblablement à la mort de son père Pierre en 1847.
Les tableaux, probablement à la mort de Pierre-Emmanuel en 1868, devinrent la propriété de Sosthène Moreau. Ce dernier, de son véritable nom Joseph Sosthène Aimé, avait demandé et obtenu l’autorisation en 1851 d’ajouter à son nom celui de Moreau ; en cette même année il eut un enfant avec Marie Berthelot (née en 1816), fille de la gouvernante (Marie-Louise-Hélène, née Thibault) de Pierre-Emmanuel Seriziat.
Ils se marièrent le 30 mai 1864, avec pour témoin Pierre-Emmanuel Seriziat, qui habitait 40 rue de Bondy à Paris ; Marie Berthelot était domiciliée à cette même adresse, tandis que Sosthène Moreau demeurait au 80 rue de Bondy. Moreau avait-il rencontré Seriziat avant sa future épouse, ou bien l’avait-il connu grâce à sa relation avec elle ? Toujours est-il que les deux hommes étaient amis, et voisins. Sosthène Moreau effectua une carrière dans la cavalerie de la Garde Nationale et fut chef d’escadron ; vers 1900, il était désigné comme rentier, et habitait rue Crevaux dans le 16ème arrondissement de Paris, entre les actuelles avenue Foch et Bugeaud.
Pour l’Exposition Universelle de 1900 à Paris, à l’occasion de l’Exposition rétrospective de la Ville de Paris organisée par Georges Cain (le conservateur du musée Carnavalet), Sosthène Moreau prêta des oeuvres de l’ancienne collection Seriziat. Aux côtés des portraits de Pierre Seriziat et de sa femme, de la vue du Luxembourg, du portrait ovale de Pierre Seriziat, notre peinture y était présentée, décrite comme de David (avec un cartel « DAVID » sur le même cadre que le nôtre).
En 1902 Le Louvre fit l’acquisition du portrait de Monsieur Seriziat et de celui de Madame Seriziat pour un prix considéré à l’époque comme très important.
Dès 1909, Moreau voulut faire don au Louvre et à plusieurs musées (Luxembourg, Carnavalet, Compiègne, Rambouillet et Fontainebleau) de ses tableaux, mais ce legs fut refusé au moment de sa mort en mars 1911. Les 22 oeuvres comprenaient ainsi les Hubert Robert, et surtout les David : la vue du Luxembourg, un portrait de Favras à l’encre, la peste à Marseille, un buste en terre cuite de Seriziat, et notre portrait des enfants Seriziat, alors toujours décrit comme de David (article du Figaro du 23/3/1911); il y avait aussi des portraits de Moreau lui-même et de sa famille.
A l’occasion de la vente du 28 février 1912, le catalogue décrivait notre peinture comme de Serangeli, indiquant qu’elle était signée en bas à droite, avec le commentaire suivant : « Deux jeunes garçons représentés à mi-corps et tournés vers la droite, l’un blond, l’autre châtain. Ils portent des habits aux larges revers, découvrant le gilet, de larges cols de lingerie souple autour du cou. Fond de paysage » .
La vente comprenait sept autres oeuvres provenant de la collection Moreau et antérieurement Seriziat (et qui faisaient donc partie du legs refusé l’année précédente), dont les deux peintures d’Hubert Robert (La cascade et Les ponts), trois de l’atelier ou attribuées à David, et deux de David qui avaient figuré à l’Exposition Universelle: Le jardin du Luxembourg (vendu 1 680 Francs), et le Portrait de Monsieur Seriziat, la version ovale de 1790, (vendu 15 000 Francs). Acquis par Bernheim Jeune, ce dernier portrait fut vendu à la comtesse Joachim Murat en 1913; puis collection de sa soeur la marquise de Ludre-Frolois; sa vente à la galerie Charpentier le 15 mars 1956; galerie Cailleux; acquis par le musée des Beaux-Arts du Canada en 1964. Le jardin du Luxembourg fut également acquis par Bernheim Jeune, qui en fit don au Louvre la même année.
L’acheteur de notre tableau était un collectionneur nommé Mandiargues. Il s’agissait probablement de Jean-Edmond-Alfred Pieyre de
Mandiargues (1848-1928), le grand-père du célèbre écrivain surréaliste André Pieyre de Mandiargues (1909-1991).
En 1951 l’historien d’art spécialiste du néo-classicisme Louis Hautecoeur (1884-1973) put voir le tableau (qui était toujours dans la collection Mandiargues) de visu, et le décrivait comme de David dans son ouvrage de 1954 consacré à l’artiste. » [David]… sur une toile ovale, représenta ses deux neveux, l’un blond, l’autre châtain et vêtu de brun gris sur un fond de ciel et de colline » . Le tableau se trouvait alors à Genève, chez le restaurateur chargé de le nettoyer, Edouard-Gaspard Castres (Genève, 1881-Genève, 1964) ; ce dernier, qui était artiste-peintre, effectuait également des travaux de restauration, notamment pour le musée d’Art et d’Histoire de Genève. C’est très vraisemblablement Castres qui maroufla la toile sur un panneau, conservée comme telle jusqu’à aujourd’hui.
Au-delà de l’indiscutabilité de sa provenance et de l’identité des modèles, l’attribution de notre tableau pourrait donc faire l’objet d’un débat. Jusqu’en 1911, l’oeuvre était décrite comme de David ; son cadre (le même que celui d’aujourd’hui, et visible sur une photo prise lors de l’Exposition rétrospective de la Ville de Paris en 1900) portait un cartel David aujourd’hui disparu, en plus de la mention David sur un second cartel, toujours présent. A l’occasion de l’exposition de 1900, Roger Portalis évoquait dans la Gazette des Beaux-Arts (1er septembre 1900, page 216) le refuge de David chez les Seriziat « dont il peignit alors toute la famille » .
Cette attribution était-elle historique, remontant à l’époque du tableau, ou bien provenait-elle de Sosthène Moreau, qui aurait voulu valoriser l’oeuvre sur la base de sa provenance et d’une plausible proximité stylistique avec David ?
Mais, suite au décès de Sosthène Moreau, le catalogue de vente (1912) désigne le tableau comme de Serangeli, précisant clairement qu’il est signé en bas à droite…
Personne n’aurait donc vu cette signature auparavant ?
En 1951, alors que le tableau est toujours dans la collection Mandiargues depuis son acquisition en 1912, Louis Hautecoeur en parle sans ambages comme d’une oeuvre de David, n’évoquant même pas l’ancienne attribution à Serangeli. La signature de Serangeli aurait-elle été effacée par Mandiargues ?
Lors de ses passages en vente publique dans les années 1990, l’oeuvre est décrite par Eric Turquin comme de Serangeli.
Dans son article consacré à l’artiste italien, paru sur le site La Tribune de l’Art en 2005, l’historien de l’art Florian Siffer l’inclut là-aussi dans le corpus de Serangeli.
De notre côté, après la légère restauration du tableau, aucune signature n’est apparue.
En y regardant de près cependant, on pourrait peut-être distinguer des traces, avec notamment ce qui semblerait être un « S » dans la réserve basse droite de la toile (masquée par le cadre), peinte en marron par l’artiste.
Serangeli, après une première formation à Milan, décida de rejoindre la France et Paris en 1790. Il suivit les cours de l’Académie Royale, avant d’intégrer en 1793 l’atelier de David, dont il devint rapidement un des élèves favoris, aux côtés de Fabre, Wicar ou Gros.
Il se lia particulièrement avec François Gérard, élève de David depuis 1786, une amitié de longue durée comme l’atteste une lettre de 1831 de Serangeli (alors établi en Italie) à Gérard, qu’il termine par « pour la vie, votre dévoué et sincère ami » . Les deux artistes
collaborèrent à plusieurs reprises ; ils réalisèrent ainsi un peu avant 1795 un tableau en commun ayant pour sujet La mort de Bara et de Viala, aujourd’hui perdu, une oeuvre peut-être inspirée par le tableau inachevé de David (La mort du jeune Bara), conservé au musée Calvet d’Avignon; Gérard et Serangeli furent aussi associés dans la demande de David aux deux artistes de réaliser deux copies de La mort de Marat (la version de Serangeli, rémunérée 400 livres par David, fut envoyée à la Manufacture des Gobelins pour en réaliser une tapisserie). Tous deux participèrent à l’illustration des Oeuvres de Racine pour Didot l’Aîné en 1801.
Ce lien explique probablement la forte proximité stylistique de notre tableau avec le double portrait de François Gérard, exécuté en 1792, représentant ses deux jeunes frères (Alexandre et Henri), récemment entré dans les collections du musée de Bayeux. Ce portrait (54 x 63 cm) participa à l’exposition David et ses élèves, au Palais des Beaux-Arts de la ville de Paris, 7 avril – 9 juin 1913, n°121 du catalogue. A n’en pas douter, Serangeli avait du voir le portrait de son ami, son impact visuel (format ovale, profils parallèles pris de trois-quarts)l’avait marqué et fut pour lui une source d’inspiration.
Les relations privilégiées de Serangeli avec son maître David ont été évoquées. Selon Florian Siffer, « David joua régulièrement le rôle d’intermédiaire pour fournir des commandes à Serangeli » , et notre portrait des enfants Seriziat aurait été réalisé à sa demande, « peut-être à l’occasion d’une visite de Serangeli à son maître alors retiré à Saint Ouen » . Nous avons par ailleurs retrouvé un portrait de Serangeli représentant le général Charles Seriziat (1756-1802), le frère de Pierre Seriziat, daté de 1795, reproduit p. 124 dans l’ouvrage de Paul Ballaguy Un général de l’an II, Charles Sériziat (1756-1802) : histoire d’une famille lyonnaise sous la Révolution . Selon Ballaguy, ce portrait daterait de l’hiver 1795. Il atteste donc des relations entre Serangeli et la famille Seriziat, très vraisemblablement initiées par David et sa femme, avec laquelle Serangeli entretient par ailleurs une certaine proximité.
Au cours des années post révolutionnaires, Serangeli est alors un peintre « qui compte » dans le milieu artistique parisien, comme le prouve sa présence, à l’extrême droite du tableau de Boilly, Réunion d’artistes dans l’atelier d’Isabey, daté de 1798. Il a commencé à exposer au Salon en 1793 avec une Fuite en Egypte. En 1796, il y connaît son premier succès avec Orphée et Eurydice (aujourd’hui conservé au musée de la Musique) ; son second tableau exposé, sous le numéro 495, titré Un portrait…, correspondrait-il à notre peinture ? Il pourrait aussi être le portrait du général Charles Seriziat.
Serangeli participera au Salon jusqu’en 1817, presque sans discontinuer, avec des portraits et des oeuvres mythologiques néo-classiques. Il recevra quelques commandes officielles, via Vivant-Denon, pour illustrer des faits de l’histoire contemporaine napoléonienne, des tableaux aujourd’hui conservés à Versailles. Il produira aussi quelques oeuvres religieuses, notamment une Crucifixion conservée à l’Hôtel-Dieu de Lyon.
A 37 ans, en 1805, Serangeli ouvre son atelier. Son élève le plus célèbre sera Jean-Baptiste Vinchon (1789-1855), qui remporte le premier grand Prix de Rome de peinture en 1814. Notre artiste retourne en Italie en 1817, assez rapidement après la chute de l’Empire; il continue à faire oeuvre de pédagogie, notamment à l’Académie des Beaux-Arts de Milan, souhaitant y appliquer les méthodes d’enseignement apprises
en France.