François-Hubert DROUAIS (1727, Paris -1775, Paris) et son atelier
Portrait de Turgot
Huile sur toile
73×60 cm
Vers 1775
Anne-Robert-Jacques Turgot (1727-1781) commença sa carrière comme Conseiller au Parlement de Paris en 1752, avant d’être nommé Intendant à Limoges en 1761, province où il exerça ses talents jusqu’en 1774. Louis XVI fit alors appel à lui comme Contrôleur Général des Finances; il développa une politique économique libérale, moderne et progressiste, mais fut renvoyé en 1776.
D’une personnalité tolérante, droite et entière, Turgot est considéré comme un économiste visionnaire, incarnation des Lumières ; encore de nos jours, nombre de personnalités économiques et politiques mondiales saluent son action et se réclament de sa pensée.
Il existe relativement peu de portraits connus de cet emblématique ministre: un pastel par Ducreux de forme ovale, conservé par ses descendants au château de Manneville à Lantheuil, dans le Bessin normand, fief de la famille Turgot du XVIIème siècle à nos jours ; une huile ovale de petite taille (23X17 cm), attribuée un peu aisément à Ducreux, passée en vente publique il y a quelque temps (Cannes, 09/12/2012) ; un portrait de profil en médaillon (diamètre : 10,4 cm), dessiné par Cochin en 1763 et gravé par Watelet ; un portrait par François-Hubert Drouais, peint en 1767 et conservé à la Mairie de Limoges (dont une reprise anonyme, rectangulaire, datée de 1822, est conservée à la Préfecture de Limoges), qui propose une image très austère du personnage.
En sculpture, Houdon réalisa un buste pour le Salon de 1777.
Notre tableau correspond à la plus célèbre représentation de Turgot, que l’on retrouve notamment dans les manuels d’histoire. Il s’agit de ce portrait ovale (73×53 cm), à mi-buste, conservé au château de Versailles, dont la paternité manque de clarté ; il est décrit tantôt comme une Ecole Française XVIIIème, tantôt comme une réplique exécutée en 1782 par l’artiste picard Antoine Graincourt (1748-1823) d’un portrait de Drouais dont la trace semble à ce jour perdue. Ce Graincourt, dont plusieurs portraits sont à Versailles (il fut commissionné en 1780 pour réaliser 40 portraits de grands militaires français pour l’Hôtel de la Guerre), semble avoir été un peintre et miniaturiste assez médiocre.
Notre tableau est d’une qualité toute autre et beaucoup plus raffiné que la version de Versailles. Il propose également une composition plus élaborée, avec une représentation jusqu’à la taille, la main droite rentrée sous l’habit, le bras gauche enserrant toujours un tricorne, et avec un élément de décor (le dossier d’un siège).
Il présente toutefois des parties de qualité inégale.
Le visage, point fort du portrait, est l’œuvre de Drouais : les yeux, l’écriture des sourcils, le traitement des carnations et notamment les pommettes rosées (avec un côté Nattier, logique si l’on tient compte de la proximité et collaboration entre les deux artistes), correspondent à la manière de Drouais. La cravate entourant le cou présente également une belle franchise d’exécution.
Le reste du tableau semble d’une facture plus sommaire ; tel le vêtement, auquel Drouais accorde usuellement plus de détails et d’empâtements. Toutefois, la sobriété de ce vêtement presque bourgeois (en accord avec la personnalité peu frivole, simple et pragmatique de Turgot, son éducation religieuse – bien perceptibles dans les portraits de Limoges) accentue probablement cette impression de simplicité d’exécution; il y a peu de détails à rendre, contrairement par exemple au portrait par Drouais de Buffon (1753, Musée de Montbard), à l’exubérante richesse.
Deux hypothèses peuvent être proposées quant à la genèse de ce tableau : il pourrait en premier lieu s’agir d’une réplique partiellement autographe de Drouais (un procédé fréquemment utilisé par Drouais et l’ensemble de ses confrères), avec l’intervention d’élèves de l’atelier pour les vêtement, perruque, siège et fond ; on pourrait d’un autre côté penser que nous avons affaire à une première version du portrait de Turgot, pour laquelle Drouais se serait concentré et appliqué sur le visage, et aurait lui-même passé peu de temps sur l’entourage.
Il est très vraisemblable qu’une version « aboutie », entièrement autographe, ait existé. Mais, au vu de l’importance à l’époque, aussi bien du modèle que du peintre, il est étonnant que l’on ne dispose d’aucune trace ou référence (participation à un salon, commande, inventaire de collection…) pour ce tableau. Il est tout aussi étonnant que des versions partiellement ou totalement autographes ou des répliques n’aient pas été identifiées.
Concernant les relations entre Drouais et Turgot, l’artiste avait portraituré d’autres membres de la famille de l’économiste, comme son frère Etienne-François en 1764 et sa belle-soeur Elisabeth Turgot (épouse de l’autre frère Michel-Jacques) en 1766.
François-Hubert Drouais fut l’élève de son père Hubert, avant de se perfectionner auprès du portraitiste franc-comtois Donat Nonotte et surtout des grandes gloires de l’époque : Boucher, Carle Van Loo ou encore Jean-Marc Nattier. On peut le considérer comme le plus grand peintre de portraits d’apparat des périodes de la fin du règne de Louis XV et du tout début du règne de Louis XVI. Il travailla pour les plus célèbres noms de la cour de Versailles et de la noblesse française. L’inexpressivité ou l’amabilité de ses portraits qu’on lui reproche parfois (en raison d’un choix de trop idéaliser ses modèles), paraît pour le coup absente dans ce beau portrait à l’intéressante intensité psychologique.