Etienne-Edouard SUC (1802, Lorient – 1855, Nantes), attribué à
Buste en « Hermès » du général Cambronne
Plâtre
h : 59 cm
1842
Provenance: probablement Madame Cambronne (1773-1854), veuve du général
Notre buste du général Cambronne (1770-1842) pourrait être une intéressante redécouverte d’une oeuvre du sculpteur breton Etienne-Edouard Suc.
Renommé pour sa bravoure, démontrée dès les guerres révolutionnaires puis sous les batailles de l’Empire et notamment les campagnes de Russie et de France, Cambronne avait acquis une grande célébrité à Waterloo, où il commanda héroïquement le dernier carré de la Garde Impériale. Gravement blessé à cette occasion et fait prisonnier, il fut soigné en Angleterre par une nurse écossaise, qu’il épousera en 1820. Revenu en France début décembre 1815, il fut jugé à Paris par le nouveau régime monarchique pour trahison mais bénéficia d’un acquittement le 26 avril 1816 et revint dans sa ville natale de Nantes le 9 mai 1816.
Ses effigies sculptées connues, réalisées dans la première moitié du XIXème siècle, se limitent à celles des Debay père et fils.
Jean-Baptiste-Joseph Debay (1779-1863), dit le père, originaire de Mâlines, élève de Chaudet et installé à Nantes depuis 1801, avait, comme on peut le lire dans la revue L’Artiste de 1842, « commencé un buste de ce brave général, immédiatement après l’issue du procès (donc en 1816) … d’une ressemblance frappante« , L’Artiste mentionnant en même temps 1815 comme la date de début du travail… Ce n’est qu’au Salon de 1853 que le sculpteur présenta un buste en plâtre (N°1299), Le général Cambronne d’après nature en 1816, suivi au Salon de 1855 de la version en marbre (N°4323) acquise par Napoléon III; le buste en plâtre de 1853 fut acheté par l’Etat pour être placé à Versailles, mais il existe d’autres exemplaires posthumes aux musées royaux des Beaux-Arts de Belgique et à la mairie de Mâlines. Ce buste représente le général en uniforme, dans une attitude à la fois solennelle et très dynamique.
Cette date de 1815 est de nouveau indiquée par Jean-Baptiste-Joseph Debay (1802-1862), dit le fils, lorsque, afin d’obtenir la commande de la statue décidée par la ville de Nantes en 1842 juste après la mort du général, mettait en avant l’argument suivant: « J’ai pour la ressemblance de la statue une garantie que nul autre ne peut offrir désormais. Mon père a fait en 1815 d’après le général Cambronne qui venait poser chez lui, un buste empreint d’une ressemblance frappante et de ce beau caractère que mon père sait si bien mettre à sa sculpture… unique portrait fait du vivant du général … ce buste, mon père me l’abandonne » . Cette date de 1815 semble poser problème, puisque Cambronne est en début d’année à l’île d’Elbe (il en est le commandant militaire), puis c’est la campagne de Waterloo en juin, la convalescence en Angleterre au second semestre, et le retour à Paris en décembre… Serait-il alors revenu quelques jours à Nantes entre avril et juin pour poser pour Debay père ? Si sa biographie détaillée (Cambronne; sa vie civile, politique et militaire par Léon Brunschvicg, 1894) ne le mentionne pas (il existe toutefois une source relatant un jour de Mai où il se mit en route pour aller embrasser sa vieille mère), elle indique cependant que le buste fut probablement fait lors des quelques semaines que Cambronne passa à Paris au printemps 1815, impliquant donc la venue de Debay à Paris…
Quoiqu’il en soit, la statue (en pied) de Debay fils, qui fut inaugurée à Nantes en juillet 1848, s’inspirait fortement de celle de son père pour ce qui est du visage: même air sévère, chevelure fougueuse coiffée à l’identique, favoris très fournis. Notons qu’il existe un buste en bronze (Inv 14.1.9.S), avec une présentation en Hermès comme le nôtre, signé J. Debay, et acquis en 2013 par le musée d’Arts de Nantes, dont il est difficile de trancher quant à la paternité entre le père et le fils.
Concernant notre buste, l’identité de Cambronne ne fait aucun doute, ne serait-ce que par l’excroissance cutanée présente sur la pommette gauche.
Concernant son auteur, il existe des similitudes avec les effigies des Debay, notamment dans le large traitement des boucles de la chevelure, et on pourrait songer à une première pensée, « à l’Antique », de Debay père, pour son buste de 1816, avant qu’il n’ait choisi de lui donner une apparence militaire plus contemporaine. Toutefois, la physionomie beaucoup plus éteinte, la chevelure moins vigoureuse (Cambronne avait toutefois conservé ses boucles jusqu’à sa mort), les favoris moins fournis, et surtout le menton et le cou plus « empâtés », nous amènent à privilégier une effigie plus tardive de Cambronne, et par un autre artiste.
Or, la biographie de Brunschvicg nous apprend que, dans l’inventaire du mobilier de la veuve (qui meurt le 4 janvier 1854) de Cambronne, figurait un buste du général par Suc, buste exécuté en 1842, « d’après un moulage pris sur la figure du général. La famille ne le trouvait pas très ressemblant » , sans que la matière (plâtre ou terre cuite) de ce buste soit précisée. Suc faisait partie des sculpteurs nantais qui proposèrent leur candidature pour la statue que la ville avait décidé de réaliser une semaine seulement après la mort de sa gloire locale; il avait pu, sur l’autorisation de Mme Cambronne, « accéder » à la dépouille pour prendre un moulage, base de travail pour un buste. Suc se disait « désigné par la famille de l’illustre général, pour faire revivre ses traits » . Mais la famille, sceptique sur la ressemblance, sollicita un autre sculpteur nantais, Amédée Renard (1806-1879), un élève de Mahlknecht, pour créer un buste en terre cuite (qui était encore à la fin du XIXème siècle dans la famille de la fille adoptive de Cambronne). Et nous avons vu que c’est finalement Debay fils qui remporta la commande de la ville.
Il est tout à fait vraisemblable que notre buste soit celui sculpté par Suc en 1842 et ayant appartenu à la veuve de Cambronne.
Né à Lorient, élève à Paris d’Henri Lemaire dès 1828, Suc exposa pour la première fois au Salon en 1834 et y obtint une médaille d’or en 1838. Il produisit quelques groupes sculptés de genre ou religieux, mais il était véritablement spécialisé dans les portraits, avec de nombreux médaillons, mais surtout une très grande quantité de bustes, notamment de militaires (les généraux Belliard et Dumoustier, Drouet d’Erlon par exemples), avec une prédilection pour les représentation dites « en Hermès ». Imprégné d’une formation néo-classique, son art s’inspirait beaucoup de la tradition antique, selon un article nécrologique paru dans La revue des provinces de l’Ouest de 1854.