Henri-Edouard TRUCHOT (1798, Bliescastel – 1822)
Vue présumée du collège de Cluny
Huile sur panneau
14 x 9 cm
Inscriptions au dos indiquant le lieu et la date
Février 1820
La courte vie de Truchot explique sa production relativement réduite mais dense, de qualité et à la facture raffinée.
Il eut ainsi le privilège d’exposer 5 tableaux au au Salon de 1819 (il est alors domicilié au 186, rue du Faubourg Saint-Martin), puis 8 tableaux au Salon de 1822 (domicilié au 23, rue de Belfond).
S’il eut possiblement des rapports avec des artistes comme Clérian ou Granet, Truchot fut également l’élève de Charles-Marie Bouton, qui le forma dans son atelier à partir de 1815 ou 1816.
Il travailla pour le Baron Taylor en dessinant plusieurs sites de la région rouennaise (château de Tancarville, abbaye de Jumièges, abbaye de Montivilliers…) pour le volume « Ancienne Normandie » des Voyages Pittoresques publié en 1820. A cette occasion, Auguste-Xavier Leprince (qui oeuvrait souvent en tant que « figuriste » pour ses confrères) collabora avec lui pour les personnages, collaboration également attestée dans les livrets du Salon de 1822 et de celui de 1824, où un tableau de Truchot était exposé à titre posthume.
Reposant au Père-Lachaise, ce natif de la Sarre appartient à la même génération de ces artistes « météoriques », comme Michallon ou Auguste Enfantin, dont la prometteuse carrière fut stoppée en pleine jeunesse (par une maladie de poitrine qu’il avait contractée à l’occasion d’un séjour en Angleterre).
Truchot fut un des artistes favoris du Duc d’Orléans (futur Louis-Philippe), qui possédait au moins trois de ses tableaux à thématique troubadour (Intérieur mauresque, Convoi d’Isabeau de Bavière, Intérieur de l’église de Louviers) dans sa collection, tous repris en lithographie dans l’ouvrage consacré à la galerie de ses oeuvres, ainsi qu’un Intérieur du grand escalier du palais de Monseigneur le duc d’Orléans, au Palais-Royal. Parmi ses autres clients notables figurait aussi Alphonse Giroux, avec au moins quatre tableaux (dont trois vendus lors de la vente du cabinet de celui-ci les 16/17 décembre 1835): Jeune homme visitant la prison de Louis le Débonnaire à Soissons, Chevalier assis à l’entrée d’une abbaye en ruines, Moine agenouillé devant un bas-relief de sujet pieux dans le couloir d’un couvent. On trouve également au nombre de ses adeptes la duchesse de Berry, la marquise de Lauriston, le comte d’Houdetot, la célèbre danseuse de l’Opéra Emilie Bigottini, le peintre Louis Daguerre, le collectionneur « hollandisant » et important donateur du musée Fabre de Montpellier Antoine Valedeau (1777-1836), ainsi qu’un autre célèbre collectionneur, Alexandre du Sommerard (1779-1842), le créateur du futur musée d’antiquités nationales de l’hôtel de Cluny.
Ce dernier amateur est une parfaite transition pour évoquer les représentations de Cluny par notre artiste.
On trouve ainsi dans une vente organisée par Alphonse Giroux en 1819 une Cour de l’hôtel de Cluny, rue des Mathurins St. Jacques. Effet de soleil d’une grande vérité; cette oeuvre, exécutée vers 1818/1819, correspond en fait au petit tableau acquis il y a quelques années par le musée de Cluny et jusqu’alors attribué à Bouhot ou à son entourage, comme le prouve le dessin du musée Fabre (légué par Valedeau) représentant la cour de l’hôtel de Cluny et préparatoire à la peinture. Amateur de gothique, Truchot ne pouvait qu’apprécier la fréquentation du lieu et de ses alentours; il n’est donc pas étonnant qu’il le représente de nouveau, comme dans le petit panneau que nous proposons, et il est vraisemblable qu’il puisse exister d’autres oeuvres sur le même thème, peut-être plus ambitieuses.
Si notre peinture, comme nous l’indique Michel Huynh (conservateur en chef au musée), n’a pas pour sujet l’hôtel de Cluny proprement dit, le contenu de l’étiquette au dos ne peut guère être mis en doute: « vue prise dans l’hôtel Clugny, rue des Mathurins près la Sorbonne. Truchaut 24 (ou 27?) Février 1820 » . Il s’agirait en revanche vraisemblablement du collège de Cluny, proche de l’hôtel mais un peu plus haut sur la colline Sainte-Geneviève, qui fut vendu comme bien national en 1795 et démoli progressivement à partir de 1823; entre-temps, la chapelle du collège avait servi d’atelier à Jaques-Louis David sous le 1er Empire. On retrouve ainsi une atmosphère comparable entre notre tableau et des vues prises en 1823 et vers 1868, avec notamment les feuillages et un arbre de silhouette similaire et planté dans une zone pavée.