Adrien DAUZATS (1804, Bordeaux – 1868, Paris)
Egypte: deux danseuses Almées
Plume et encre brune, lavis brun
17 x 24 cm
1830
Oeuvre en rapport: gravure publiée dans l’ouvrage du Baron Taylor « La Syrie, l’Egypte, la Palestine et la Judée », paru en 1838, pour laquelle notre dessin est préparatoire
Provenance: probablement vente Dauzats (Drouot, Maître Scribe, Expert Francis Petit) des 1er/2/3/4 février 1869, lot N°344 (47 dessins représentant les « Bords du Nil »: Rosette…)
Avant tout connu comme un des principaux artistes romantiques orientalistes, Dauzats se forma à l’origine comme décorateur scénique (son père était lui-même machiniste de théâtre); mais c’est le bordelais Julien-Michel Gué, lui aussi décorateur de théâtre et parmi les premiers collaborateurs du baron Taylor, qui lui enseigna l’art du paysage.
Gué, considéré comme le « second père » de Dauzats, lui fit rencontrer en 1824 le baron Taylor, qui engagea Dauzats en 1827 dans sa « troupe » de dessinateurs pour les Voyages Pittoresques, avec un premier voyage en Franche-Comté, et un second en Auvergne en compagnie de Gué en 1828.
Taylor emmena Dauzats, aux côtés d’artistes comme Auguste Mayer ou Eugène Cicéri, faire en 1830 un voyage en Egypte et au Proche-Orient, à l’occasion d’une mission officielle auprès de Mehemet Ali pour acquérir les obélisques de Louxor.
Dauzats exposa 70 oeuvres au Salon entre 1833 et 1867, aussi bien des sujets orientaux que des paysages de France ou des portraits, y obtenant des médailles de première classe en 1835, 1848, 1855.
Notre oeuvre fait partie de l’ensemble de dessins réalisés lors du voyage en Egypte et au Levant entre mars et septembre 1830, que Dauzats utilisera dans ses tableaux ou bien fera reprendre en estampe.
Plus précisément, elle correspond à l’une des 160 gravures sur acier (exécutées par Finden) qui illustrent l’ouvrage du Baron Taylor « La Syrie, l’Egypte, la Palestine et la Judée », publié en 1838; la gravure, numérotée 100 et placée entre les pages 226 et 227, porte le titre exact suivant: Almées.
Ces danseuses courtisanes, qui faisaient trafic de leurs charmes, avaient de tous temps exercé une séduction voluptueuse auprès des occidentaux, et notamment des Français, aussi bien à l’époque des Croisades qu’à l’occasion de l’expédition d’Egypte de Bonaparte. Nos danseuses sont probablement représentées près de la ville de Foueh, au bord du Nil, où elles habitaient un quartier particulier et y vivaient en toute liberté. Foueh fut longtemps la seconde ville la plus importante d’Egypte.
Ci-dessous le texte accompagnant la gravure.
L’Égypte a été longtemps célébré par ses danseuses publiques ; les plus
fameuses appartiennent à une tribu du nom de Ghawazy. Une femme
de cette tribu est appelée Ghazyeh et un homme Ghazy. La plupart des
voyageurs confondent les Ghawazy avec les Almées ; selon d’autres, les
Aimées seraient uniquement des chanteuses. Nous qui avons visité deux
fois l’Orient, nous nous sommes convaincus que les Almées chantaient et
dansaient. Leurs danses, qui sont plutôt de la pantomime, rappellent les
traditions de l’antiquité. Elles en ont conservé la sévérité, tout en acqué-
rant la grâce des danses orientales.
Le costume qu’elles portent en public ne diffère pas essentiellement de
celui des femmes égyptiennes des classes moyennes. Dans l’intérieur de
leur maison, elles sont vêtues du yelek, espèce de long habit ou de l’antezy,
veste courte, et du shintiyen, grand pantalon. Afin de relever leur parure,
elles y ajoutent divers ornemens, tels que colliers, bracelets et bijoux de
toute sorte. Des sequins d’or, disposés en couronne ou en guirlande sur
leur tête, ornent leur chevelure. Quelquefois elles s’attachent un anneau
au bout du nez. Leurs paupières sont peintes en noir sur les bords pour
donner plus de vivacité à leurs yeux. Les extrémités de leurs doigts, la
paume de leurs mains, leurs orteils, et d’autres parties de leurs pieds sont
teints en rouge, suivant la coutume pratiquée par les femmes des hautes
et moyennes classes en Egypte. Il est rare qu’elles ne soient pas accom
pagnées par des musiciens appartenant à la même tribuqu’elles.
Les Ghawazy exécutent souvent leurs pas dans les cours des maisons,
dans les rues, devant les portes et sans voile pour amuser la populace ;
elles dansent aussi en certaines occasions, comme, par exemple, dans es
réjouissances d’un mariage ou la naissance d’un enfant, dans l’intérieur d’un harem. Toutefois, lorsque le harem est d’une certaine importance, elles
n’y sont point admises. Il arrive souvent qu’on les loue pour venir amuser
une société d’hommes. Dans ce cas, leurs danses sont extrêmement las-
cives ; elles n’ont pour tout vêtement alors que le pantalon avec une robe
de gaze de couleur transparente.
Ces femmes passent pour être les courtisanes les plus licencieuses de
l’Égypte. Un grand nombre d’entre elles sont fort belles et richement ha-
billées. La plupart ont le nez légèrement aquilin. Du reste, elles sont assez
semblables aux autres femmes du pays. A les en croire, elles appartien-
draient à une race distincte ; elles s’appellent elles-mêmes Baramike ou
Barmaky, et se vantent de descendre de la célèbre famille de ce nom, qui
fut tour à tour l’objet de la faveur et de la capricieuse tyrannie de Haroun-
el-Rashid l’un des héros des Mille et une Nuits.
Sur beaucoup de tombes d’anciens Égyptiens, on voit des femmes re-
présentées dansant à des festins particuliers au son de divers instrumens,
à peu près comme les modernes Ghawazy. Quelques unes de ces dan-
seuses sont dans un état complet de nudité, quoiqu’elles se trouvent
au milieu de personnes des hautes classes. D’après les inscriptions qui re-
couvrent ces tombes, il paraîtrait qu’elles étaient en usage même avant
l’époque où les Israélites habitèrent l’Égypte.
Le rapport des danses espagnoles avec celles des Almées ne permet pas
de douter que les Arabes n’aient introduit leurs danses en Espagne.
Cependant on sait que les femmes de Gades (Cadix) étaient déjà célèbres
pour cette espèce de danse du temps même des empereurs romains.
Les Ghawazy, ainsi que les Aimées, se gardent avec soin de contracter
des alliances avec les autres classes ; elles ne se marient en général qu’avec
des hommes de leur tribu. Pourtant il arrive de temps en temps qu’une
Ghawazy repentante épouse quelque respectable Arabe, qui n’en est pas
moins bien regardé pour cela. Toutes les Ghawazy sont élevées pour la
prostitution ; mais toutes ne sont point danseuses. La plupart se marient
après avoir déjà exercé leur métier de courtisane. Le mari est alors soumis
à la femme, et lui sert pour ainsi dire de domestique. Si la femme est
danseuse, il fait l’office de musicien. Quelques maris cependant gagnent
leur vie en faisant le métier de forgeron ou de chaudronnier.
Le langage ordinaire des Ghawazy et des Almées est le même que celui de
tous les Égyptiens ; pourtant elles se servent quelquefois d’expressions qui leur sont particulières pour rendre leur discours inintelligible. Quant à la
religion, elles suivent celle de Mahomet. Souvent elles accompagnent les
caravanes égyptiennes à la Mekke. Dans presque toutes les villes où on les
trouve, elles habitent le quartier assigné aux femmes publiques. Pour la
plupart, leurs demeures sont des huttes assez basses ou des espèces de tentes
temporaires qui conviennent parfaitement à leur vie presque nomade
Néanmoins quelques unes d’entre elles occupent de vastes maisons, et
possèdent des esclaves noires qu’elles dressent à la prostitution, ce qui leur
rapporte beaucoup d’argent ; elles ont aussi des chameaux, des ânes, des
vaches, et s’adonnent au commerce. On les voit suivre les camps, voyager
d’une ville à l’autre, et paraître à toutes les fêtes publiques, que leur pré-
sence ne contribue pas peu à animer. Beaucoup d’Égyptiens même ne s’y
rendent qu’à cause d’elles.