Emile LABORNE (1837, Paris – 1913, Paris)
Dieppe: la plage et l’ancien casino vers 1875
Huile sur panneau
15,5 x 21,5 cm
Signé en bas à gauche
Vers 1875
Exposition: peut-être tableau du Salon de Carcassonne de 1876, sous le N°270, titré Vue de Dieppe
Ancien étudiant au lycée Henri IV, puis élève aux Beaux-Arts du mariniste Jules Noël, Emile Laborne fut un peintre raffiné de vues urbaines et de paysages. Paris, les côtes normandes, la vallée de la Loire, furent souvent traités par ses pinceaux, mais il visita aussi l’Italie et l’Espagne. Il exposa au Salon à partir de 1865, jusqu’en 1893.
La vente de son atelier eut lieu à Drouot le 19 décembre 1927, et à cette occasion, le « Journal des débats politiques et littéraires » écrivait: « … coloriste consommé, il ajoutait à une réelle justesse de vision un véritable don de rendre les divers effets de la lumière. De ses compositions d’ensembles denses, il n’est pas un détail, voire même un point du décor, qui lui échappe, et il excelle, en outre, à rendre tout mouvement, attitude et physionomie… » .
Sur ce magnifique petit format, Laborne nous offre une rare vue du deuxième casino de Dieppe, présent sur le front de mer entre 1857 et 1886. Si ce bâtiment nous est connu par quelques iconographies lithographiques, en revanche très peu de tableaux semblent le mettre en scène: nous n’avons trouvé qu’une magnifique huile impressionniste d’Albert Lebourg, datée d’octobre 1879, d’un point de vue similaire et traitée dans un style très libre.
Mais l’intérêt de notre oeuvre ne réside pas que dans la rareté du sujet. Laborne excelle à restituer la lumière du ciel cauchois, le relief des galets de la plage, l’effervescence balnéaire: des promeneurs déjà sur le rivage ou descendant les marches de la large terrasse du casino, et, ce qui est peut-être le sujet principal de la composition, des rameurs (déjà ou futurs membres de la société du Club Nautique Dieppois, créée en 1880) s’apprêtant à disputer une course d’aviron à bord de périssoires.
La vue est prise du pied de la falaise où s’élève le château de Dieppe, alors qu’à l’arrière-plan on aperçoit la jetée de l’ouest, d’une longueur de 685 mètres.
Familier de la côte d’Albâtre, Laborne avait déjà représenté Fécamp et Le Tréport à la fin des années 1860. Dieppe et son marché aux poissons était le sujet d’une de ses oeuvres exposées au Salon de 1878.
Pionnière des bains de mer, la station de Dieppe avait été mise à la mode par la duchesse de Berry dans les années 1820, mais suite à la chute et l’exil des Bourbons, les deux décennies suivantes avaient été moins prospères.
La visite du couple impérial en 1853, du 20 août au 10 septembre, repropulsa Dieppe sur le devant de la scène, et la ville fut en quelque sorte forcée de réaménager de façon moderne et fonctionnelle le bord de mer, avec en particulier la création d’un imposant et nouvel établissement de bains/casino, qui fut d’ailleurs davantage dédié aux plaisirs mondains qu’à la pratique des bains…
Le Monde illustré du 1er août 1857 évoque ainsi « le nouvel établissement de fonte et de verre que la ville vient d’élever en l’honneur de sa prospérité fashionable… C’est une longue galerie parallèle à la mer, coupée par trois pavillons, dont le premier étage est relié par des terrasses d’où l’on domine et la plage et la ville. »
Dessiné par l’architecte Lehmann et décoré par Cambon, le bâtiment avait été érigé en seulement cinq mois (grâce à une facilité de montage s’apparentant à celui des serres), pour un budget de 400 000 Francs.
Le style est indéniablement inspiré par celui du Crystal Palace, présenté en 1851 à l’occasion de l’Exposition Universelle de Londres.
Le pavillon du premier plan abrite le salon des Jeux; le plus important, celui du centre (auquel est adjoint en 1877, sur l’arrière, une extension à usage de salle de spectacle), sert de salle des fêtes, alors que le dernier est réservé à la salle de lecture. Le dernier bâtiment arborant un drapeau, tout au fond, est probablement celui des petits bains des hommes.
Ce deuxième casino sera remplacé en 1886 par un ensemble de style mauresque, construit par l’architecte Pierre-Alexandre Durville, dont les plans seront d’ailleurs exposés au Salon de Paris de 1887 (extrait du Figaro du 31 juillet 1886: « Dieppe possède maintenant le casino le plus splendide qui soit au monde » ). En 1926 lui succède un bâtiment de style Bauhaus, qui sera détruit pendant la seconde guerre mondiale, tandis que le cinquième et dernier casino de Dieppe verra le jour en 1961.